Le Pointu Toulonnais

Le Pointu, bateau traditionnel méditerranéen

Les pointus apportent une note colorée à nos ports littoraux. Adaptés à la pêche au trémail, se comportant bien aux caprices de la mer, aux exigences de la navigation en Méditerranée, ils doivent leur originalité à leurs formes galbées qui n’ont guère été modifiées depuis l’Antiquité.

Les pointus devraient leur nom à leurs formes effilées à leurs deux extrémités. Une appellation récente qui leur aurait été donnée au début du XIXe siècle par des officiers de marine toulonnais.

Les charpentiers de marine établis sur le littoral varois ont subi les influences italiennes, catalanes et même maltaises. Des influences que l’on reconnaît aisément dans les pointus sortis de leur chantier. Il existe pourtant une spécificité varoise, celle du pointu toulonnais ou anciennement raffiau.
Sa construction est au tiers, c’est à dire que sa largeur ne dépasse pas le tiers de sa longueur. L’éperon sur les pointus méditerranéens a été supprimé pour être remplacé par un capian triomphant. Le raffiau n’en conserve pas moins ses formes pointues ce qui lui permet d’évoluer à la rame aussi bien en avant qu’en arrière. Sa chambre, c’est-à-dire la partie qui s’étend du mât au coqueron, n’a pas de bancs fixes ou mobiles. Un payol transversal traverse toute la largeur du bateau.

Une pièce essentielle fait encore la gloire des pointus, le capian. Le capian est une partie intégrante de l’étrave, symbole commun aux ports de la Méditerranée occidentale. Allégorie de la force masculine se plaît on à dire, c’est le phallus vénitien souvent peint en rouge.

Un bateau à francs bords sur membrures sciées 

Le bois utilisé est l’objet de tous les soins des charpentiers. Pour les membrures, ils utilisent l’ormeau, le chêne, le frêne, le mûrier et l’acacia; pour le bordage le pin d’Alep qui depuis 1780 a entrepris la colonisation des massifs calcaires varois, le pin parasol et le pin sylvestre. Ce n’est qu’à une date plus récente que les charpentiers de marine auront recours au mélèze, rare dans le Haut-Var, mais particulièrement abondant dans les Alpes de Haute-Provence. La quille, seule pièce à avoir une forme géométrique simple, constituée en une seule pièce est construite en chêne. Elle reçoit une semelle réalisée dans un bois plus tendre. Pour la fabrication des tolets et des bittes d’amarrage, les charpentiers de marine ont recours au bois d’arbousier, de cade ou de bruyère réputés pour leur dureté.

Les meilleurs constructeurs de pointus étaient et demeurent les charpentiers de marine d’origine ligurienne ou napolitaine installés dans de pittoresques chantiers établis près des ports de pêche les plus actifs du littoral varois. Héritiers d’un savoir-faire exemplaire, transmis de génération en génération souvent dans le plus grand secret, ils travaillent sans plan à partir de gabarits. Le plus célèbre d’entre eux est le gabarit de Saint-Joseph, un modèle en trois grandeurs qui permettait de tracer les membrures.

Les pointus les plus courants mesuraient six mètres, mais certains d’entre eux atteignaient jusqu’à huit mètres. Leur longueur était exprimée en pans, le pan équivalant à 25 cm.
La mise en forme d’un pointu en construction obéissait à un ordre bien établi. Les membrures étaient fixées sur la quille qui recevait l’étrave. L’étrave et l’étambot étaient ensuite tracés au gabarit puis assemblés à l’aide de boulons en fer. Les bordés étaient façonnés et cloués à l’aide de clous galvanisés, ou mieux des rivets en cuivre. Le bordage achevé, venait ensuite la pose des bancs, dont le banc de mât placé au niveau de la quatrième membrure. Ensuite le plat bord découpé dans un plateau de chêne puis la pose du plancher, le payol, enfin l’organisation intérieure du bateau dont un compartiment destiné à recevoir le poisson.
La coque était alors soigneusement calfatée à l’aide de tresses de coton ou de chanvre, l’étanchéité du bateau était confortée dans les temps les plus anciens par l’usage du brai gras, de la poix et du goudron obtenus par distillation de la résine de pin. Les pins sylvestre étaient alors soumis dans notre région à l’opération dite du résinage. Elle se pratiquait au mois de mai, de larges incisions étaient ouvertes dans les troncs des arbres libérant ainsi leur sève: la résine recueillie dans des pots de terre cuite.

La voile latine

Bateaux à voile et à avirons, les pointus sont gréés en voile latine d’influence arabe. Leur mât auto-porteur fait la longueur du bateau, l’antenne quelques mètres de plus, la voile couvrant une vingtaine de mètres carrés. Le foc est peu utilisé. Taillées dans une toile robuste, les voiles sont teintes comme les filets avec des écorces de pin mises à bouillir dans un grand chaudron de cuivre.
Les pêcheurs qui optent pour le rouge teintent leurs voiles avec du cinabre (sulfure de mercure) mélangé à l’argile. La couleur est fixée par d’abondants rinçages à l’eau de mer.
La voile latine a un maniement délicat. Le gréement est très simplifié du fait de la mobilité de la voile autour d’un point fixe. Les pêcheurs ne l’utilisent que pour se rendre sur les lieux de pêche ou revenir au port, aux allures portantes ou de largue. La voile latine performante aux allures portantes marche mieux au près qu’une voile carrée.
Le ponçage de la coque précédait la mise en peinture. Une opération longue et délicate menée à l’aide d’une planchette recouverte jadis d’une peau de requin et aujourd’hui par du papier de verre. Les nœuds étaient soigneusement frottés à l’aide d’une gousse d’ail ou de gomme arabique pour favoriser la prise de la peinture, rouge pour la carène, bleue pour la coque.

(photo ancienne : Collection particulière de André Gauthier)
Texte extrait des carnets du patrimoine n°4 (octobre 2007) édité par le Conseil départemental du Var

Termes de marine

Allure portante : direction que suit un bateau par vent arrière.
Amure : cordage fixant le coin d’une voile établie du côté d’où vient le vent.
Au près : un navire est au près lorsque ses voiles lui permettent de se rapprocher le plus possible de la direction du vent.
Brai : résine de pin ou goudron utilisée pour assurer l’étanchéité des coques en bois.
Calfatage : opération consistant à garnir d’étoupe, de poix, de goudron, les fentes de la coque d’un bateau pour la rendre étanche.
Capian: pièce en bois fixée sur l’étrave servant de bitte d’amarrage. Symbole phallique rehaussé par des joues de bois, le plus souvent peintes en rouge.
Chambre : soute Chebec: bâtiment à voile latine à formes fines pouvant naviguer à la rame.
Coqueron : soute à l’arrière d’un bateau.
Étambot : pièce de bois implantée dans la quille d’un bateau qu’elle continue obliquement à l’arrière.
Étrave : avant d’un bateau.
Éperon : partie de bois saillante fixée sur la proue d’un bateau.
Foc : voile triangulaire. Gourse : bateau méditerranéen.
Largue : route perpendiculaire à la direction du vent.
Payol : plancher, caillebotis.
Prélart : bâche souple goudronnée.
Plat bord : planches horizontales limitant les bordages. 
Trémail : filet de pêche formé de trois nappes superposées. Vougado : transit à la rame.

*Voir glossaire maritime

Photo ancienne de Pointus à Sanary-sur-mer
Pointu du Brusc dans les années 70